Le 11 septembre, les candidats de l'émission la plus célèbre du service public feront leur dernier calcul mental et leur dernier tirage de lettres. Bertrand Renard et Arielle Boullin-Prat refermeront leurs dictionnaires. Laurent Romejko éteindra la lumière et le dernier téléspectateur fermera la porte. Il paraît que l'émission reviendra le week-end, mais sous un format différent, avec d'autres animateurs. Autant dire que l'émission ne reviendra pas. Loin de moi l'idée de verser dans la nostalgie, bien sûr (vous le savez), mais c'est le moment de regarder, tout de même, un petit peu dans le rétro.
L'émission « Le mot le plus long », créée par Armand Jammot en 1965, pour agrémenter les siestes dominicales sur l'ORTF, était devenue « Des chiffres et des lettres » en 1972. Présentée par Patrice Laffont et le brillant Max Favalelli, elle connut rapidement le succès. En 1975, le tout jeune Bertrand Renard, un hypermnésique féru de lettres classiques, remporte douze matchs d'affilée et devient l'arbitre de la rubrique « Le compte est bon ». En 1986, Arielle Boullin-Prat, sémillante prof de lettres classiques (décidément...), rejoint l'équipe. Laurent Romejko est engagé en 1992. Depuis, la musique a été réarrangée, le plateau a évolué, mais le principe est toujours le même. Deux candidats s'affrontent pour former le mot le plus long à partir d'un tirage de dix lettres dont ils choisissent le nombre de voyelles, puis pour obtenir un nombre imposé, à partir d'un tirage de chiffres aléatoire.
« Des chiffres et des lettres », on l'a oublié, a fait l'objet de tournois nationaux. C'était l'époque où la dictée de Pivot passait à la télé et où les Masters de « Questions pour un champion » étaient en prime time. Autant dire que ce n'était pas hier. Edgar Faure, président de l'Assemblée nationale de 1973 à 1978, aimait passionnément regarder ce jeu télévisé. Yaël Braun-Pivet, moins, peut-être.
France Télévisions évoque, pour justifier leur renvoi, un désaccord avec Bertrand Renard et Arielle Boullin-Prat. Ceux-ci évoquent plutôt une baisse de salaire de 60 % et le refus de leur donner un CDI. 47 et 36 ans de CDD, c'est beaucoup. C'est même à peine légal - et particulièrement ingrat. Mais enfin, que voulez-vous, une émission de vieux Blancs qui se piquent de culture générale et de calcul mental, ce n'est pas vraiment ce qu'on attend du service public. Dehors, les intellos ! Dehors, les vieux, aussi, puisque nos aînés suivaient avec assiduité les aventures intellectuelles de ces Français comme les autres qui se prennent la tête à deux mains pour fabriquer des mots ou assembler des chiffres. On ne sait pas quel nouveau format et quelle nouvelle équipe succéderont à cette émission historique, plutôt touchante et en tout cas plus utile que beaucoup d'autres. Notre « ORTF » a certainement des idées.
« Des chiffres et des lettres » avait aussi permis au verbicruciste génial Max Favalelli d'être sur le devant de la scène. Favalelli proposait notamment, dans une de ses grilles de mots croisés, cette définition superbe : « En cinq lettres, jeune anarchiste tchécoslovaque ». La réponse était « Amour » (enfant de Bohême, qui n'a jamais connu de loi, bien sûr). Nos deux fois cinq lettres à nous, sans prétention aucune, seront bravo et merci !
Arnaud Florac
Source : http://bvoltaire.fr