De l’abbé Danziec dans Valeurs Actuelles :
Dans un collège privé, la catéchiste interroge les élèves présents au cours (non obligatoire) d’instruction religieuse : « qu’est-ce que le carême ? ». Une main hésitante se lève pour une réponse incertaine : « Le carême, c’est pas un peu le ramadan des catholiques madame ? ». Voilà donc l’ignorance crasse en matière religieuse à laquelle ont abouti cinquante ans de prédication hasardeuse et de logique d’enfouissement de l’Eglise en France. Non seulement, une quantité non-négligeable de personnes – de baptisés même – ignore aujourd’hui la signification profonde du carême, mais ils sont de plus en plus nombreux à le définir en référence à un islam plus visible, plus affirmatif et plus décomplexé.
Les rigueurs de circonstance que s’imposent catholiques et musulmans en ces périodes ne sont pas seulement différentes dans leurs contours. Elles divergent également quant à leur but. Le chrétien est appelé à se comporter aux yeux du monde comme s’il ne jeûnait pas « pour que ton jeûne soit connu, non des hommes, mais de ton Père qui est là dans le secret ; et ton Père, qui voit dans le secret te le rendra » (Mt 6, 16-18). A l’inverse, le Ramadan s’accompagne d’une surveillance étroite de chaque musulman dans la “communauté des croyants”. Le courageux maire de Montfermeil, Xavier Lemoine, rapportait son expérience du ramadan dans sa ville, évoquant la police des poubelles effectuée entre voisins pour s’enquérir de la stricte observance des prescriptions coraniques dans le quartier ou encore le piétinement des goûters des élèves chrétiens ou sans confession par les élèves musulmans dans les cours d’école de sa ville.
Lors du Ramadan, dès le coucher du soleil, tous les interdits cessent pour le musulman. Pour le chrétien, il ne s’agit pas de compenser le soir ce dont on s’est privé durant la journée mais de faire œuvre de sacrifices discrets et de renoncements joyeux. De s’exercer patiemment à toutes les privations que sa conscience lui indique devant Dieu : l’alimentation, les écrans, les dépenses futiles. Cette grande retraite annuelle des fidèles vise à renouveler les cœurs, par un soin plus diligent porté à la vie de prière, au dépouillement, au travail des vertus, le tout couronné par une confession sincère de ses fautes.
Comme le souligne Annie Laurent, spécialiste de l’Islam, alors que dans le Ramadan l’accent est mis sur l’exercice de la volonté et l’obéissance à Allah qui en a commandé l’observance, le carême est une réalité avant tout spirituelle et personnelle. Tandis que le ramadan relève d’un pilier injonctif dépourvu de toute signification autre que la soumission (qui est le sens même du mot « islam »), le carême relève d’une invitation à se convertir au Christ. Un combat intérieur à la mesure d’un Dieu aimé, qui rappelle la haute valeur civilisatrice du sacrifice offert gratuitement.
Pour Hélie de Saint-Marc « si rien n’est sacrifié, rien n’est obtenu ». La leçon chrétienne du carême appartient à cette veine. Dans la société du moindre effort, elle a même la valeur d’une leçon de survie.
Source : lesalonbeige