Car l’enseignement principal du scandale Pegasus n’est pas que les États surveillent leurs concitoyens en tirant profit des nouvelles technologies. On le savait déjà avant même les révélations de Snowden. En revanche, l’affaire démontre que le cyber-renseignement, y compris quand il est au service des États, s’est largement privatisé, grâce aux technologies de communication. Les États font appel aux services de sociétés spécialisées pour la surveillance électronique mais tirent aussi parti de l’extraordinaire développement des médias sociaux pour collecter massivement les données publiques ou privées. Une pratique bien établie, dénommée OSINT par les services de renseignement occidentaux, pour « Open Source INTelligence » et qui peut être menée également par des sociétés privées pour le compte d’entités étatiques ou même par des ONG ou groupes d’investigation comme le célèbre site Bellingcat, qui se fait fort d’exploiter les données de comptes publics et les selfies maladroits publiés par des soldats syriens, yéménites, russes ou américains sur des sujets ou des théâtres d’opérations sensibles.
Cette évolution géopolitique est le corollaire d’un mouvement de civilisation désormais impossible à endiguer. On observe depuis deux décennies l’avènement d’une civilisation dans laquelle la notion d’intimité devient caduque et où l’individu peut être identifié, labellisé, enregistré, contrôlé et étiqueté comme jamais auparavant. Des algorithmes décident d’embaucher ou de licencier les employés de grandes entreprises et cela n’est rien en regard de la fantastique opération de surveillance consentie à laquelle les réseaux sociaux soumettent des milliards d’individus. L’ironie réside d’ailleurs dans le fait qu’une bonne partie des « anti-système », des autoproclamés membres d’une dissidence fantasmée ou les opposants aux politiques dites liberticides vivent eux-mêmes en esclavage, heureux et emmurés dans leur compte Twitter, Facebook ou Instagram. L’algocratie est au service de l’ochlocratie.
Les annonces du 12 juillet auront marqué un tournant historique et anthropologique, en faisant advenir la civilisation du QR code
Ce consentement collectif à la surveillance de tous par tous est aggravé par la quasi-obligation pour l’ensemble de la population française de posséder son passe sanitaire muni de son QR code pour pouvoir accéder à une vie sociale. L’avènement de ce passe, dont Jean Castex jurait il y a quelques mois qu’il ne serait jamais mis en place, crée un nouveau format de document d’identification, cette fois totalement électronique et autorisant le croisement entre données d’identité et de santé. Cela n’a rien en soi d’une politique machiavélienne. Au-delà même de la question sanitaire, la mise en place du passe obligatoire n’est que la conséquence attendue d’une mécanique de gestion étatique et administrative qui échappe aux hommes. Nul ne sait où cette évolution nous mènera.
Les annonces du 12 juillet auront marqué un tournant historique et anthropologique, en faisant advenir la civilisation du QR code, bien plus sûrement que l’affaire Pegasus, qui sera suivie, n’en doutons pas, de multiples autres scandales du même genre, qui sembleront de moins en moins scandaleux à mesure que nos sociétés seront accoutumées à la surveillance électronique, qu’elle soit étatique, opérée par des sociétés privées ou par les individus eux-mêmes. Happiness in slavery.
Laurent Gayard
Source : https://lincorrect.org/