Par Laurène Jacquerez ♦ « Té bél ! » Voilà la phrase qui a marqué les deux mois de séjour à Marseille de Laurène Jacquerez. Découvrez son « journal » édifiant dans lequel on (re)découvre à quel point le harcèlement de rue – très majoritairement le fait d’extra-européens – est un calvaire pour les femmes. Définitivement, Marseille semble rimer avec « m’harcèle ».
Polémia
Marseille 2021
À Marseille on est Marseillais, c’est bien connu.
J’allais donc être Marseillaise pendant deux mois avec mon ami.
Location à deux pas du Vieux Port.
Jour 1 – Beau temps, soleil, légère brise.
Je sors dans la rue en robe (détail important) et je reçois mon premier cadeau au bout de 35 mètres : « Té bél. »
Puis 45 mètres et un nouveau « té bél ».
Je suis heureuse.
Jour 2 – Beau temps, soleil, pas de vent.
Je sors dans la rue en jupe et talons, et je reçois mon cadeau au bout de 120 mètres : « Té bél. »
Puis au retour de ma promenade : « Té jôli. »
Je suis moins heureuse.
Jour 3 – Beau temps, soleil, brise moyenne.
Je sors sur le balcon pour m’aérer et je reçois un cadeau inattendu au bout de 72 secondes : « Té bél. »
Je rentre.
Je suis ronchon.
Jour 4 – Beau temps, soleil, pas un souffle.
Je sors faire les courses au Monoprix d’en face et je reçois mon cadeau quotidien au bout de 55 mètres : « Té bél. »
Regard noir de mon complimenteur que je n’interprète pas encore.
Au retour, et par deux fois, je reçois le même compliment : « Té bél », « Té bél ».
Je ne comprends pas.
Jour 5 – Beau temps, soleil, pas d’air.
Changement de tenue : pantalon et chemise. Mon cadeau quotidien arrive quand même au 200e mètre : « Té bél. »
Agressivité dans la voix qui clairement m’interroge sur ce que je fais là.
Au retour, pas de « té bél ».
J’en parle à mon ami. Changement de stratégie.
Jour 6 – Beau temps, soleil, vent fort.
Je choisis mon moment pour sortir, pantalon et pull léger, et je me bouche les oreilles avec mes écouteurs.
Je sens les regards perçants qui se posent sur moi.
Je n’entends pas les « té bél ».
Je ferme les yeux.
Jour 7 – Beau temps, soleil, vent chaud.
Je suis au fort Saint-Jean. Je lis. On m’accoste dans une langue que je ne comprends pas.
Je lève l’ancre. Je me réfugie à la maison. La colère monte.
Jour 8 – Beau temps, soleil, même vent chaud.
J’appréhende. Je reste chez moi.
Pas de « té bél ».
Je suis moi-même.
Jour 9 – Beau temps, soleil, vent du nord.
Je vais à la laverie. Rue étroite et langue étrangère. Regards insistants. Le cadeau quotidien ne tarde pas, légèrement différent : « Hé t’as d’bô zieu. »
Je frissonne.
Jour 10 – Beau temps, soleil, brise marine.
Discussion avec mon ami.
Résultat : je n’emprunte plus certaines rues.
Jour 11 – Beau temps, soleil, brise salée.
Je sors sur le Vieux Port. Je suis repliée sur moi-même.
Pas de « té bél » mais à la place un regard noir glaçant.
Il veut dire : « Reste chez toi, la rue n’est pas ta place. »
J’aimerais être invisible.
Jour 12 – Beau temps, soleil, vent faible.
Je ne sors pas.
Je n’ai rien à faire dans cette ville.
J’ai peur.
Jour 13 au jour 60 – Beau temps, soleil, vent variable.
Sorties rares et éphémères. Plaisir absent.
J’endure Marseille.
Jour 61 – Beau temps, soleil, petite brise.
J’ai compté les jours comme un prisonnier dans sa cellule. Nous partons.
Je respire à nouveau, il était temps.
Jour 62 – Marseille est un souvenir.
Je renoue avec les robes. Je suis enfin une femme.
Enfin libre.
Conclusion :
À Marseille on est plus Marseillais !
J’invite ces dames du gouvernement à passer un week-end prolongé à Marseille avec moi.
Mesdames Schiappa, Borne, Wargon… Je vous remercie de m’indiquer les dates qui vous conviennent.
Laurène Jacquerez
13/11/2021
Source : polemia