Ces dernière semaines ont été l'occasion d'un nouveau piétinement de la liberté d’expression. L’Éducation nationale a décidé de suspendre de leurs fonctions, pendant trois mois, deux professeurs de philosophie en raison de leurs prises de position politiques et sociales.
Selon l’administration, les deux enseignants auraient porté atteinte au bon fonctionnement de l’institution. Retranchés derrière des notions juridiques noyées de casuistique, les instances disciplinaires ont choisi d’évincer messieurs Franklin Nyamsi et René Chiche.
Le premier, suivi par plus de 160.000 personnes sur le réseau social Twitter, critique régulièrement la politique africaine de la France. Le second, suivi par plus de 100.000 personnes, intervient régulièrement sur les chaînes de télévision et les radios pour dénoncer l’état intellectuel catastrophique de l’enseignement dans notre pays. De surcroît, et c’est essentiel de le souligner, M. Chiche est également responsable syndical.
Ajoutons que ces sanctions sont accompagnées de la privation des droits à rémunération et des droits à avancement et retraite. Par ailleurs, les lycéens sont directement impactés puisqu'ils sont privés de leurs enseignants quelques semaines avant le baccalauréat de philosophie.
Sous un angle strictement juridique, ces sanctions opportunistes obscurcissent un peu plus le paysage de la pensée politique et de l’opinion libre.
Rappelons que l’obligation ou le devoir de réserve, stricto sensu, n’est pas prévu par la loi, excepté pour certains statuts spécifiques comme celui des militaires ou celui des magistrats. La représentation nationale n’a donc jamais contraint à la réserve le professeur ou l’enseignant. Ce devoir est une stricte création prétorienne. Il prend sa source dans une jurisprudence du Conseil d’État déjà ancienne, du 15 janvier 1935, par un arrêt fondateur dit « Bouzanquet ». Autrement dit, il s’agit d’une obligation créée par les juges et contrôlée par ces mêmes juges.
Lors des débats parlementaires relatifs au statut général des fonctionnaires au début des années 1980, un amendement avait été déposé pour inscrire l’obligation de réserve dans la loi relative aux droits et obligations desdits fonctionnaires. Le ministre de la Fonction publique, en son temps, avait rejeté cet amendement en expliquant qu’il fallait « laisser le soin au juge administratif d'apprécier au cas par cas les limites au droit d'expression imposées aux fonctionnaires par l'obligation de réserve ». C’était, ainsi, donner un pouvoir au juge au détriment de la volonté populaire.
Le danger d’une telle situation provient de l’absence de cadre juridique clarifié et précisément défini. Afin de ne pas tomber sous le coup de la sanction, l’agent peut exprimer une opinion qui ne doit pas avoir de caractère excessif ou insultant vis-à-vis du service. Il doit veiller à s’exprimer avec une certaine retenue afin que son comportement ne nuise pas à l’administration à laquelle il appartient.
Or, toutes ces notions évoquées peuvent laisser cours à des interprétations diverses. Sur quels critères décider, juridiquement, du « caractère excessif d’un propos » ? Comment estimer que ce même propos a été exprimé sans une « certaine retenue » ? D’abord les commissions de discipline et ensuite les juges apprécieront, alors, au cas par cas. Ce sont ces seules appréciations qui font leur office et partant, cela devient une atteinte fondamentale à la sécurité juridique.
A ce titre, le ministre de l’Éducation nationale, a justifié les sanctions prononcées en affirmant que les professeurs avaient tenu « des propos outranciers, complotistes, injurieux d’une très grande violence ». Pap Ndiaye a ajouté, « nous garantissons le droit de libre expression, mais ce type de propos d’entre pas dans le droit de libre expression ». C’est évidemment là tout le problème. Ça ne devrait pas être au ministre, ni aux supérieurs hiérarchiques, ni mêmes aux juges, de décider que les propos tenus n’entrent pas dans le droit de la libre expression. Seul le peuple devrait pouvoir décider.
Le devoir de réserve est manifestement dévoyé. Certains hauts fonctionnaires ou hommes politiques ne supportent plus que l’on puisse contester leurs insuffisances, leurs décisions iniques ou que l’on ose la contradiction. Ils mettent donc en œuvre les procédures leur permettant d’évincer l’opinion qui dérange et celui qui la livre. Ces deux professeurs sont victimes de l’évolution de la censure dans notre pays. Cette censure à géométrie si variable.
Maître Alain Belot
Source : http://bvoltaire.fr