On parle beaucoup du gaz et du pétrole. Mais le gouvernement algérien a la main sur une autre énergie, qui réussit ce prodige, celle-là, d’être à la fois fossile - par son grand âge - et renouvelable, tant ce carburant semble inépuisable et trouve, chaque jour, de nouvelles formes : la rancœur contre la France. La suppression du programme français dans les écoles privées n’en est pas la plus récente expression. L’ultime brimade a visé le Collectif Sauvegarde des Cimetières d’Oranie.

Cette association a été créée il y a tout juste 19 ans, en octobre 2004, à l’initiative d’un groupe de pieds-noirs au retour d'un « pèlerinage » à Oran. L’Algérie sortait de la sinistre « décennie noire » et l'état de leurs cimetières familiaux les avait horrifiés : caveaux fracturés, croix brisées, ossements gisant dans les mauvaises herbes… « Je revois mon mari, désemparé, dans le cimetière des marins de Mers el-Kébir [à quelques kilomètres d’Oran, NDLR], avec un crâne dans les mains. Il venait de le ramasser et ignorait dans quel caveau il fallait le remettre », confie, à BV, l’une des participantes. Celle-ci se souvient aussi, dans un autre cimetière dévasté, avoir pleuré, les bras pleins des fleurs qu’à la demande d'amis restés en France elles avait apportées : elle ne savait pas où les poser. Dans Le Midi libre, en 2017, le président de l’association témoignait : « Depuis 13 ans, nous faisons le tour des cimetières autour d’Oran, et le constat est toujours le même : ils sont martyrisés. Par les conditions sismiques qui font bouger les sols, par la végétation qui recouvre tout ou par la main de l’homme qui saccage, squatte et détruit. »

Ce collectif s'est donc fixé l'objectif de sensibiliser les autorités françaises sur l’état de ces sépultures et contribuer à réhabiliter les 96 cimetières d’Oranie. Les membres de cette association ont, par ailleurs, créé un outil Internet afin que les pieds-noirs puissent retrouver leurs morts. Au cours de leurs nombreux voyages, ils ont fait des recensements, relevé les noms… un travail minutieux de bénédictin afin d’aider les descendants dans leur quête d’information. Bref, la mission de ce collectif est aussi légitime que nécessaire. Ce soin discret et diligent des cimetières, au moyen de fonds glanés ici et là auprès de particuliers ou de collectivités locales (comme en PACA), est d’ailleurs « tout bénéfice » pour l’État algérien. Et en 19 ans, tous les visas nécessaires au voyage en Algérie ont été à chaque fois obtenus.

Cimetière d'Assi Bou Nif (Algérie) ©CSCO

C’est donc en toute confiance, pensant à une formalité, que 89 membres de ce collectif - des septuagénaires et des octogénaires essentiellement, pour beaucoup nés en Algérie, mais aussi quelques jeunes, désireux d’aller sur les pas de leurs ancêtres - sont allés demander un visa dans leur consulat respectif pour un voyage prévu du 22 au 29 septembre. Les 32 personnes qui avaient fait cette demande avant l’été ont obtenu ce visa. Les 57 autres, en revanche, se sont vus opposer une fin de non-recevoir. Il leur avait pourtant été explicitement dit, au moment du dépôt, en août, qu’ils étaient « tout à fait dans les délais ». Que s'est-il donc passé ? Quel changement de pied de la part du gouvernement algérien ? Certains consulats (Montpellier, Metz, Lille, Lyon, Nanterre, Pontoise, Nice) ont signifié le refus du ministère des Affaires étrangères d’Algérie, sans exciper d’aucun motif. À Marseille, le consulat est carrément resté muet, ne répondant à aucun mail ou appel téléphonique des voyageurs inquiets de ne pas voir arriver leur visa.

C’est Air Algérie qui, la veille du départ, a signalé ce rejet aux intéressés, refusant par la même occasion de rembourser le billet, le refus de visa ne faisant pas partie, selon la compagnie, des motifs de remboursement prévus. Pour les membres du collectif refoulé, la note est donc salée : le prix du visa, soit 110 €, les billets d’avion et les arrhes de l’hôtel. Lorsque les voyageurs des Bouches-du-Rhône sont allés récupérer, dépités, leur passeport au consulat, il leur a été répondu que « le peuple algérien était souverain et [qu’]il avait le droit de décider qui entrait chez lui » (sic). Rappelons qu’en France, tous les refus d’accorder un visa à un étranger doivent être motivés. Le consulat d'Algérie à Marseille, sollicité par Boulevard Voltaire, n’a donné à ce jour aucune réponse.

À défaut d’entretenir lui-même ces tombes, et d’exiger de l’Algérie qu’elles ne soient pas profanées - rappelons que ces morts sont... français ! -, l’État ne peut-il au moins obtenir que les bonnes volontés soucieuses d’honorer leurs ancêtre - nos ancêtres - aient accès à ces sépultures ? Ou, comme d’habitude, cette nouvelle couleuvre va-t-elle être avalée silencieusement ?

Gabrielle Cluzel

 

Source : bvoltaire