Publié par Guy de Laferrière le 11 mai 2023
Tout au long de la journée de mardi, l’intégralité du champ lexical de l’indignation républicaine était de sortie. En effet, samedi dernier, un groupe de nationalistes français a manifesté son soutien à Sébastien Deyzieu, décédé le 7 mai 1994, à 22 ans, en marge d’un regroupement du GUD. Ainsi que l’a parfaitement rappelé Marc Eynaud dans son article, aucun trouble à l’ordre public n’a été a déploré lors de cette manifestation.
Mais voilà, certains y ont vu des néo-nazis, d’autres des néo-fascistes, et tous ont entendu le bruit des bottes raisonner dans les rues parisiennes. Jusque-là, rien d’inhabituel et le préfet de police de Paris se défendait plutôt bien avec des armes juridiques. Mais devant la polémique, Darmanin s’est emparé du sujet. Il a donc demandé aux préfets d’interdire de manière générale et absolue toutes les manifestations d’extrême droite.
Ainsi, il ne se passe pas une journée sans que ces personnes ne restreignent impunément les libertés fondamentales dans notre pays. Ce ministre de la Macronie vient de créer « un principe général d’interdiction de manifester en raison de l’opinion politique ». C’est assez simple, au fond, par cette consigne donnée aux préfets, le ministre de l’Intérieur viole à la fois le droit européen, le droit constitutionnel et la loi en la matière.
Le Conseil d’État avait récemment rappelé les principes généraux de la liberté de manifester : « La liberté d'expression et de communication, garantie par la Constitution et par les articles 10 et 11 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et dont découle le droit d'expression collective des idées et des opinions, constitue une liberté fondamentale au sens de l'article L. 521-2 du Code de justice administrative. Son exercice, notamment par la liberté de manifestation ou de se réunir, est une condition de la démocratie et l'une des garanties du respect d'autres droits et libertés constituant également des libertés fondamentales au sens de cet article. » Par conséquent, le principe absolu est celui du droit de manifester.
Parce que manifester est une liberté fondamentale, ceux qui souhaitent organiser une manifestation n’ont qu’une obligation déclarative. Le Conseil d’État a d’ailleurs refusé, pendant la crise sanitaire, de faire basculer cette obligation vers un principe d’autorisation préalable. Autrement dit, une manifestation doit être déclarée mais n’a pas à être autorisée.
En revanche, une fois déclarée, et par exception seulement, la manifestation peut être interdite par le maire ou par le préfet. Mais il existe des conditions de légalité strictes dans lesquelles doivent s’inscrire ces interdictions, comme par exemple une présomption grave d'un réel danger de troubles à l'ordre public procédant de la manifestation projetée et l'inexistence d'un autre moyen efficace pour maintenir l'ordre public.
Ainsi, ordonner aux préfets d’interdire toutes manifestations d’extrême droite, c’est donner l’ordre d’exclure « a priori » toute réflexion sur les conditions de légalité de l’arrêté. Le ministre de l’Intérieur lui-même demande donc aux préfets de prendre des arrêtés d’interdiction, quand bien même ceux-ci seraient « a priori » manifestement illégaux. Or, l'arrêté doit être motivé en application de l'article L. 211-2 du Code des relations entre le public et l'administration.
La décision doit préciser, dans ses motivations, les risques pour l'ordre public (précédentes manifestations organisées par les mêmes personnes et ayant donné lieu à des troubles, mots d'ordre visant à troubler l'ordre public ou à commettre des dégradations) et la difficulté quant au maintien de l'ordre public liée, par exemple, au volume des forces de police, aux difficultés inhérentes au lieu de la manifestation. Le préfet ne peut pas s’extraire de son obligation de motivation, pour des raisons uniquement politiques, sous le prétexte qu’il laisserait les tribunaux administratifs le soin de juger de la légalité de son arrêté. Raisonner ainsi, c’est décider de façon totalitaire de restreindre une liberté fondamentale envers un ennemi supposé qui n’est même pas strictement défini.
Platon n'avait-il donc pas raison lorsqu’il affirmait que la tyrannie deviendrait le point d’aboutissement inéluctable de la démocratie ?
Maître Alain Belot
Source : http://bvoltaire.fr