Publié par Guy de Laferrière le 04 mars 2023
Tout le monde est suspendu à la décision d’Emmanuel Macron. Le président doit depuis plusieurs semaines détailler la manière dont il compte généraliser le service national universel (SNU). En 2017 déjà, il promettait d’instaurer un « service national obligatoire » pour tous les jeunes Français.
Un SNU basé sur le volontariat a depuis vu le jour. En 2022, seulement 32 000 adolescents y ont participé, sur les 50 000 attendus. Mais d’ici quelques années, ils pourraient bien être 25 fois plus nombreux. Car le gouvernement envisage sérieusement de rendre le SNU obligatoire pour tous les élèves en classe de seconde et en première année de CAP, soit 800 000 jeunes par an.
C’est en tout cas ce que laisse entendre un document interne au ministère de l’Éducation nationale révélé il y a quelques jours par Politis. Cette note, datée du 2 décembre 2022, détaille la façon dont pourrait fonctionner ce service national imposé. Il consisterait en un séjour de cohésion de 12 jours, étalé sur plusieurs mois. Il aurait lieu pendant le temps scolaire, et non plus pendant les vacances.
Téléphone interdit, uniforme requis
Les jeunes concernés devraient se rendre par leurs propres moyens à l’emplacement du séjour, forcément situé en dehors de leur département ou de leur région. Le lieu et la date d’affectation seraient eux aussi imposés. Au programme sur place : un lever à 6h30 et un coucher à 22h30, ainsi qu’une levée du drapeau et une Marseillaise quotidiennes. Le document de travail prévoit le port d’une tenue « commune » à tous les participants et l’interdiction du téléphone portable en journée.
Défense, sécurité intérieure, développement durable… Pendant l’ensemble du séjour, les adolescents se verraient dispenser des enseignements par des personnels volontaires de l’Éducation nationale, de l’éducation populaire et des militaires non actifs. Objectif affiché : « renforcer la résilience de la nation », « développer la cohésion sociale » et « promouvoir une culture de l’engagement ».
Si cette version du SNU est retenue par l’exécutif, les jeunes les plus motivés verront leur permis de conduire ou leur Bafa (brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur) intégralement financé. Seule condition à respecter : suivre le parcours complet du SNU, dont le module permettant l’accès à une réserve en uniforme. Selon le Snes-FSU, premier syndicat des enseignants du second degré, les adolescents n’auraient par ailleurs pas la possibilité d’évoquer l’objection de conscience pour échapper au séjour de cohésion, puisqu’il ne s’agit pas d’un service militaire. Ils pourraient seulement bénéficier d’un report en cas de force majeure.
La note du ministère de l’Éducation nationale prévoit un déploiement progressif de la nouvelle version du SNU. Si la piste d’un séjour obligatoire est retenue, celui-ci serait mis en place dans six départements pilotes à partir de janvier 2024. D’après le Snes-FSU, il serait d’abord expérimenté dans les Hautes-Alpes, les Vosges, le Cher, le Finistère, la Dordogne et le Var, avant une généralisation à l’ensemble du pays en 2026. Ce qui nécessiterait de présenter un projet de loi au Parlement.
Le volontariat toujours envisagé
La gauche est déjà vent debout contre le projet, tout comme les organisations de jeunesse. « Rendre obligatoire un engagement, c’est un oxymore. Ce n’est pas comme ça que fonctionne l’engagement », relève auprès de Politis Samuel Béguin, du Forum français de la jeunesse (FFJ). D’autres pointent le manque d’équipements disponibles pour accueillir 800 000 jeunes chaque année.
Le Snes-FSU, lui, voit dans cette mesure un moyen d’« affaiblir l’Éducation nationale », avec « un calendrier scolaire désormais soumis aux contraintes du SNU ». Le syndicat critique aussi son coût, estimé à 2 milliards d’euros, alors que les enseignants réclament de longue date plus de moyens. « Plus généralement, [le SNU obligatoire] consacre l’idée que l’école de la République n’est plus le lieu par excellence de la fabrication de la nation », relève le Snes-FSU.
Devant cette levée de boucliers, l’Élysée et le cabinet de Sarah El Haïry, la secrétaire d’État chargée de la Jeunesse et du Service national universel, ont assuré ce jeudi au Figaro que « rien n’est (encore) décidé ». Si Sarah El Haïry est favorable à l’instauration d’un SNU obligatoire, une autre option est envisagée : le dispositif pourrait rester volontaire, mais devenir plus incitatif grâce au financement du permis de conduire et du Bafa.
Emmanuel Macron devait initialement trancher et rendre son arbitrage au début de l’année. D’après le cabinet de Sarah El Haïry, il pourrait finalement prendre une décision « avant la fin de l’année scolaire ». On comprend pourquoi le chef de l’État ne se presse pas : le SNU, moqué et critiqué, pourrait pousser la jeunesse dans la rue s’il devenait obligatoire. En pleine mobilisation contre la réforme des retraites, le président fait donc profil bas.