Publié par Guy Jovelin le 12 avril 2021
De Jeanne Capel :
Ce dimanche 11 avril 2021 vers 11h15, alors que la messe touche à sa fin, un individu s’introduit dans l’église de Ch…, aux confins de l’Aisne. Portant une veste beige et des rangers, l’homme photographie l’assemblée, se porte à ma hauteur, prend de nouveaux clichés puis se fond dans l’assistance.
La célébration terminée, j’ajuste mon masque pour franchir le porche. Alors que j’avance vers ma voiture, je suis interpelée par le même individu qui arbore désormais un brassard de gendarmerie ! Dans l’échange qui suit, j’apprends qu’on me reproche de n’avoir pas toujours porté le masque pendant l’office et que je serai sanctionnée. Surtout, je comprends que l’opération de gendarmerie, menée par quatre militaires, me visait personnellement, dans le cadre d’un programme de surveillance et d’intimidation qui dure depuis plus d’un an.
En effet, le 25 mars 2020, aux premiers jours du confinement du printemps de cette année-là (qu’on n’osait pas encore qualifier de « premier confinement »), j’avais avec ma famille déployé une large banderole sur la façade de notre maison, située au centre du village, pour dire « Non à la dictature sanitaire ! ». Cet aimable truisme (car qui peut être favorable à une dictature, fût-elle sanitaire ?) nous avait valu plusieurs visites de gendarmes et quelques appels d’édiles locaux : nous « agacions en haut lieu »…
Quelque part dans l’Aisne, le 25 mars 2020
Rappelons qu’à l’époque, en France, le port du masque était généralement déconseillé plutôt qu’obligatoire, sa vente étant même interdite au grand public. C’est donc bien le foisonnement, l’instabilité et l’incohérence des obligations et des interdits de toute nature que nous entendions dénoncer alors, et l’intrusion dans nos vies qu’ils supposent, par un gouvernement manifestement décidé à dicter nos conduites dans leurs moindres détails plutôt qu’à préserver les libertés publiques.
Un an plus tard, il faut confirmer le constat et nous venons de redéployer notre banderole.
Car c’est bien pour punir ma dissidence, et non un acte, qu’on s’en est pris à moi ce matin. Pourquoi en effet, commettre avec préméditation ce double viol ? Celui d’un sanctuaire, contre une jurisprudence centenaire et les usages les mieux établis, mais aussi celui de ma conscience, pourtant protégée formellement par la réglementation sur la pratique des rites religieux en période d’urgence sanitaire ? Le message est pour moi parfaitement clair : dès lors que vous êtes identifié comme « récalcitrant », dixit le gendarme qui m’a interpelée, le pouvoir se donne contre vous tous les droits et ne vous en reconnaît plus aucun, même (ni surtout !) les plus sacrés.
Dans l’Aisne, le 11 avril 2021
Hasard ou prémonition, nous avions revu hier en famille le chef d’œuvre de Jean-Pierre Melville, L’Armée des ombres. Si comparaison n’est pas raison, l’Histoire a ses permanences que la période actuelle fait resurgir en mode mineur. Dans ma dissidence assumée, je n’attends donc rien des forces de l’ordre, qui obéissent aux ordres quels qu’ils soient ; ni de la justice, dont le Conseil d’État a théorisé, dès l’Après-Guerre, son incapacité à garantir les libertés contre un pouvoir autoritaire ; et pas davantage hélas des hommes en général qui, par peur, jalousie parfois, ignorance ou intérêt se font si souvent les supplétifs de toutes les nomenklaturas.
Mais alors que, depuis une heure à peine, la banderole flottait à nouveau sur notre maison et que je terminais ces quelques lignes, on sonna à ma porte. Ce n’était pas (encore) les gendarmes mais une voisine. Tout sourire, elle nous portait un pain qu’elle venait de cuire, pour nous remercier d’entretenir publiquement une lueur de liberté. Nous nous embrassâmes et devisâmes longuement. Quoi qu’il advienne, l’essentiel sera sauf !
Jeanne CAPEL (un pseudonyme) vit dans l’Aisne. Elle est professeur de Latin et d’Espagnol. En 2020, elle a démissionné de son poste d’enseignante en région parisienne pour ne pas devoir imposer le port du masque à ses élèves.