Par Fiorina Lignier, Gilet Jaune et auteur de Tir à vue ♦ Fiorina et Adnane ont chacun perdu un œil à la suite d’un tir de la police. L’une lors d’une manifestation pacifique. L’autre à l’occasion d’une petite « émeute urbaine ». Mais le traitement des deux affaires a été radicalement différent.
Fiorina a effectué un (premier) séjour à l’hôpital de 16 jours. On lui a accordé 30 jours d’ITT. 500 jours après sa mutilation, il n’y a toujours aucune suite judiciaire, aucune mise en examen, presque aucune avancée de la procédure pénale engagée.
Adnane a passé trois jours à l’hôpital. Il a obtenu 120 jours d’ITT. En six jours, après deux articles dans Le Parisien, un policier a été suspendu et mis en examen.
Bref, c’est deux poids, deux mesures. La répression policière pour les Français, c’est open bar. Et la répression judiciaire des policiers qui interviennent dans les banlieues, c’est aussi open bar. L’État est devenu un instrument contre la France. Et ceux qui le dirigent sont bien les « traîtres » que fustige Ivan Rioufol dans un récent ouvrage.
Lisez cet article émouvant mais aussi précis et documenté de Fiorina Lignier. Je vous le recommande vivement même s’il risque de vous faire enrager comme il m’a fait enrager.
Jean-Yves Le Gallou pour Polémia.
Merci, la justice française, je ne pouvais pas espérer une telle efficacité. Le policier qui m’a éborgnée est identifié et suspendu de ses fonctions ! Me voilà soulagée… Enfin non, pas tout à fait, en fait, ceci ne reste, pour le moment, qu’un doux rêve. Je n’ai pas la chance de vivre dans un territoire perdu de la République ou un « quartier populaire » (comprenez évidemment une banlieue de l’immigration), donc, pour l’instant, 16 mois après les faits : rien. Certes, je suis issue de l’immigration, mais ma mère vient du mauvais côté de la Méditerranée, je suis trop Européenne pour que l’État s’intéresse à moi. Mais soyez rassurés, si la République ne s’occupe pas de moi, quand il s’agit d’extra-Européens, la justice sait se montrer à la fois rapide et efficace.
Je perds mon œil et je me vide de mon sang
Rappelons ce qui m’est arrivé : acte IV des Gilets jaunes, 8 décembre 2018, je suis sur les Champs-Élysées au bras de mon compagnon Jacob pour manifester. À 100 mètres, quelques panneaux de bois d’une boutique sont arrachés, nous tentons de partir, les gendarmes mobiles nous en empêchent. De l’autre côté de l’avenue, la police charge en faisant usage de grenades et LBD 40 (anciennement flashball), mais au lieu de tirer uniquement sur les casseurs, elle vise la foule pacifique. Un projectile m’atteint en pleine tête, je tombe à terre. J’ai le nez cassé, toute la face gauche explosée en des dizaines de morceaux, un traumatisme crânien.
Le confinement, c’est ma vie ordinaire
Il faut le dire, ma vie a bien changé depuis, le confinement que vous vivez en ce moment, c’est ma vie depuis le 8 décembre 2018, donc j’ai du temps. En parcourant ce qui porte le nom de « grande presse » (on se demande ce qui lui reste de grand, les financements publics peut-être ?), je tombe sur un article relatant une blessure due à un LBD 40, un « jeune » qui a perdu un œil. Ça m’intéresse, je me sens concernée, que lui est-il donc arrivé ? Je compatis déjà pour les douleurs et la lenteur de la procédure qui va suivre.
La presse en 3 jours pour Adnane, en 40 jours pour… Fiorina
Le Parisien me fait plaisir : alors qu’il avait fallu attendre plus 40 jours pour qu’ils s’intéressent à mon cas, là ils sont rapides. En seulement trois jours, oui trois jours, ils ont recueilli le témoignage d’Adnane pour dénoncer ces « violences policières ». Résumons ce qui lui est arrivé : lors d’une soirée d’échauffourées à Brunoy (Essonne), Adnane qui n’avait rien fait s’est fait tirer dessus sans AUCUNE raison et a perdu l’usage de son œil. Il raconte tout ça dans l’article. Il y a juste un point que je ne comprends pas dans son témoignage : « L’arme pointée sur le visage, Adnane prend peur et court dans le sens inverse “et c’est là qu’il m’a tiré sur le visage” ». Cet homme court-il à reculons ? Si le policier vise son visage et qu’il se met à courir « dans le sens inverse » comme il le prétend, il aurait dû être touché au dos. Enfin, passons ce point de détail ; vous savez, après un tel choc, l’esprit peut se brouiller.
3 jours d’hôpital, 120 jours d’ITT pour Adnane, 16 jours d’hôpital, 30 jours d’ITT pour Fiorina
Notre « jeune » est conduit pour être opéré dans le même hôpital que moi, peut-être passe-t-il entre les mains du même chirurgien ? Vous savez, depuis l’épisode des Gilets jaunes, les chirurgiens sont habitués à ce type de blessure maintenant, ils ont eu quelques cas pour s’entraîner avant lui… Après trois jours passés à l’hôpital, voilà notre garçon dehors. Et puis, à Paris, ils sont rapides (ou certains ont des privilèges ?), il a déjà eu son rendez-vous avec le médecin légiste. Lui n’attendra pas un mois ! Ce dernier a pour rôle de déterminer les ITT (interruption temporaire de travail) qui serviront à évaluer la gravité de la blessure lors d’un possible procès. 120 jours pour Adnane. Je me dis que j’ai mal lu, sûrement 12 jours. Ah, non, non, non, c’est bien 120 jours. Tout à fait étonnant, ce chiffre. Il passe trois jours à l’hôpital, j’en passe seize ; il a eu le plancher orbital fracturé, j’ai eu, en plus du plancher orbital, le nez et toute la face gauche fracturés (sans oublier mon traumatisme crânien), mais lui a 120 jours et moi seulement 30. Je ne comprends pas vraiment ce qui justifie une telle différence, médecin légiste incompétent ou privilège ?
Envie de vivre ou pleurnicheries médiatiques ?
Je continue la lecture de l’article du Parisien. Que ne lis-je pas là au détour d’un paragraphe : « J’aurais préféré qu’on me tue plutôt que de me laisser des séquelles à vie. » Pour être franche avec vous, oui, j’ai aussi eu ces pensées. Mais au bout d’un an de souffrances quotidiennes (rien ne dit qu’il va traverser ça), jamais à l’hôpital, bien au contraire, j’avais une envie de vivre plus forte que jamais. Quand on passe à côté de la mort, on prend conscience pleinement de la fragilité de la vie, et on n’a pas envie de mourir même avec un œil en moins, bien au contraire. Je ne lui reproche pas de le penser, cependant un homme n’a pas à s’épancher de la sorte dans les médias (surtout quand on nous vante la « virilité » des hommes de cette communauté).
Plusieurs articles sur Adnane, un article censuré pour Fiorina
Arrivée à la fin, je referme l’article, un peu pensive : un éborgné de plus, mais, quand même, pourquoi une telle différence au sujet des ITT ? Ma vie ne s’arrête pas pour autant (même si je suis au ralenti), je passe à autre chose. Jusqu’au vendredi suivant et un nouvel article du Parisien sur cette affaire, un véritable feuilleton. Les journalistes du Parisien, silencieux avec les Gilets jaunes blessés, ne laissent pas tomber Adnane ! Je ne suis pas allée vérifier, mais peut-être a-t-il eu droit à son article dans la version papier ? Personnellement, mon cas a été relayé dans un article disponible sur Internet, mais la partie dudit article me concernant fut supprimée de la version papier ! Mais ne jetons pas la pierre au Parisien : pour nos « jeunes », ils sont là et c’est bien le principal. Il est vrai que j’avais 20 ans, lui 19 ans, peut-être étais-je trop âgée pour avoir le droit à leurs égards ?
IGPN : aucun policier mis en cause pour les Gilets jaunes, pour Adnane, suspension et mise en examen immédiate du policier
Je dois dire que nous sommes mauvaises langues, nous, les Gilets jaunes, mea maxima culpa. On dit toujours que l’IGPN (la police des polices) est aux ordres du pouvoir, que sa patronne a été nommée par Macron, qu’elle traîne des pieds et protège les policiers. Eh bien, c’est faux. Oui, certes, il y a eu plus de 40 blessés aux yeux à coups de LBD 40, 5 mains arrachées, 200 blessures à la tête, des morceaux de gencives en moins, des milliers de blessés plus ou moins légers et aucune enquête n’a abouti et donc zéro policier mis en examen pour ces faits. Mais c’est pardonné, l’IGPN sait être efficace : en six jours, le policier accusé d’avoir tiré sur Adnane est identifié, relevé de ses fonctions et mis en examen. MERCI à l’IGPN. MERCI à la hiérarchie policière de relever ce policier de ses fonctions. MERCI à la justice, le voilà déjà mis en examen.
La République sait se montrer efficace avec ceux qu’elle chérit
La République sait quand même se montrer efficace avec ceux qu’elle chérit… Quant à moi, 16 mois sont passés depuis ma blessure. Les policiers qui m’ont tiré dessus ont été filmés par plusieurs caméras, ils ont été interrogés, des centaines de témoins ont vu la scène, plusieurs expertises médicales ont été rendues, mais toujours pas de procès en vue, ni de policier suspendu ou mis en examen. L’enquête est au point mort.
Justice à deux vitesses : pour Afro-musulman et pour Gilet jaune
Je constate une justice à deux vitesses. Pour des Afro-musulmans, le système est très souvent là, en particulier pour réparer les blessures causées par les policiers (légitimement ou non, ils ne s’embarrassent pas de cette question). Par système j’entends dans ce cas : les médias, l’IGPN, la justice, les associations « antiracistes »… Tous ont accouru, et ont rapidement apporté de la lumière sur cette affaire.
Mais quand il s’agit de Gilets jaunes, soyons claire, la différence n’est pas le gilet ou l’âge, mais la race. Donc quand il s’agit de Français de souche, là le système (les médias) cache les choses ; les associations d’aide aux victimes, gavées d’argent public, ne prennent pas en charge les Gilets jaunes.
Quant à l’IGPN, en six jours l’affaire est bouclée, quand mon affaire traîne depuis 500 jours bientôt, et le policier est suspendu ; de l’autre côté, des milliers de Gilets Jaunes sont blessés et pourtant aucune sanction de cette sorte n’est prise à l’encontre des policiers fautifs. Sans oublier la ritournelle médiatique et politique du « il faut remettre dans le contexte » dont on a été dispensé ici alors qu’elle tombait sur les Gilets jaunes.
Pour finir, je ne veux pas dire que ce « jeune » était violent et que le policier a utilisé légitimement son arme. Je n’étais pas là pour voir la scène, je ne suis pas une spécialiste du maintien de l’ordre et du cadre d’emploi de ces armes non létales. Cependant, quand on sait que les policiers préfèrent mourir cramés dans leur voiture plutôt que de blesser des Afro-musulmans qui retiennent les portières, quand on voit que les interventions dans ces enclaves étrangères se font au péril de la vie des fonctionnaires de police – le cas de la policière de Beauvais à qui ils ont fracassé le crâne à coups de pavé la semaine dernière est un bon exemple (et encore, ce n’était pas l’émeute comme dans le cas présenté ci-dessus), quand on se rappelle la condamnation médiatique unanime de la « grande presse » et du pouvoir exécutif lors de l’affaire Théo (qui était en fait un bobard du système), on doute que les policiers utilisent leurs armes de façon immodérée dans ce genre de situation, car ils savent que ça peut très vite dégénérer et qu’ils ne seront soutenus par personne en cas de problème. Je ne veux pas dire que le policier est innocent – la police a un lot de fonctionnaires qui n’ont rien à faire dans ses rangs –, cependant gardons bien à l’esprit que les dernières affaires montées contre la police dans les banlieues de l’immigration étaient bidon (affaire Théo, Adama Traoré…).
Avec Jacob, je reviens plus longuement sur ceci, sur ces deux France, la France que la République soutient et celle qu’elle abandonne et réprime (nous) dans notre ouvrage : Tir à vue – La répression selon Macron.
Fiorina Lignier
08/04/2020
Source : polemia