ARTICLE. Alors que la Nouvelle-Calédonie s’apprête une nouvelle fois à déterminer par référendum son indépendance (ou non) le 12 décembre 2021, un rapport de l’Institut de recherche stratégique de l’école militaire (IRSEM) pointe du doigt le trouble jeu de la Chine dans la région…
La Chine travaille en sous-marin à préparer l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie. C’est la conclusion d’un rapport de l’Institut de recherche stratégique de l’école militaire (IRSEM). Le document de 646 pages, publié la semaine précédente et intitulé « les opérations d’influence chinoise — un moment machiavélien », alerte sur le cynique jeu d’influence auquel se livre la Chine aux quatre coins du monde. Diplomatie, militaire, éducation, réseaux sociaux… tout passe sous le scope d’analyse de Paul Charon (directeur du domaine « Renseignement, anticipation et menaces hybrides » de l’IRSEM) et de Jean-Baptiste Jeangène-Vilmer (directeur de l’IRSEM). Y compris l’appui de la Chine aux divers mouvements indépendantistes opérant près de ses zones d’influence. La Nouvelle-Calédonie y figure en bonne place.
7 640 kilomètres à vol d’oiseau séparent la chef-lieu de la Nouvelle-Calédonie — Nouméa — de Shanghaï. Mais alors que les États-Unis, l’Australie et le Royaume-Uni viennent de conclure le pacte AUKUS pour contrer l’emprise chinoise dans le Pacifique, dans une logique d’affrontement des blocs qui ne sert pas les intérêts de la France, Pékin voit d’un bon œil l’idée de se rapprocher à environ 3 000 kilomètres des côtes australiennes.
Des élus indépendantistes proches des associations chinoises
La méthode chinoise est connue. Son objectif : multiplier les investissements de façon à noyauter l’économie, « en se rapprochant des responsables tribaux et politiques parce que c’est la méthode la plus efficace et la moins visible », explique le rapport de l’IRSEM qui précise qu’il s’agit d’une « stratégie (…) parfaitement rodée » qui « a fonctionné ailleurs dans le Pacifique ». Ainsi, Pékin encourage l’indépendance de ce territoire, tout en entretenant des relations avec l’élite politique et économique locale.
Dans le viseur de l’IRSEM, l’Association de l’amitié sino-calédonienne. Les deux auteurs notent que sa présidente, Karine Shan Sei Fan, « est une ancienne du cabinet du leader indépendantiste (Roch Wamytan, président du Congrès de Nouvelle-Calédonie, NDLR) ». D’autant que les deux derniers directeurs de cabinet sont « d’éminents membres » de cette association. Pour l’IRSEM, les élus indépendantistes seraient de manière générale, « extrêmement proches » de la « diaspora (chinoise, NDLR) et des « associations qui la représentent ». En octobre 2017, l’Association de l’amitié sino-calédonienne avait d’ailleurs invité celui qui était alors ambassadeur de Chine en France, Zhai Jun (depuis remplacé par le médiatique Lu Shaye), qui avait multiplié les promesses à ses interlocuteurs pendant une semaine.
Nouméa, une proie de choix pour Pékin
Pourquoi la Nouvelle-Calédonie intéresse-t-elle autant la Chine ? Tout d’abord, car la Chine lorgne sur le nickel français, présent en grandes quantités dans l’archipel. Ensuite, une tête de pont en Nouvelle-Calédonie permettrait à la République populaire de renforcer sa politique d’anti-encerclement, destinée à isoler l’Australie et in fine à affaiblir l’emprise étasunienne sur dans l’Indo-Pacifique. Nouméa viendrait compléter un arc de cercle géographique allant de Papouasie-Nouvelle Guinée (qui a rejoint à les « Nouvelles routes de la soie ») aux Fidji (accord de coopération et intégration aux « Nouvelle route de la soie »), en passant par les Îles Salomon (dons et prêts) et Vanuatu (grands projets d’infrastructures). Si Nouméa venait à tomber dans la sphère d’influence chinoise, elle intégrerait alors « La Ceinture et la route », un projet chinois qui vise à revitaliser les anciennes routes de la soie (et à en créer de nouvelles) pour étendre l’influence chinoise dans le Pacifique.
Après deux référendums en 2018 et 2020 qui ont abouti à a victoire du « non » à l’indépendance, la France pourrait bien perdre en décembre 2021 13 % de sa Zone économique exclusive (ZEE) – la deuxième au monde en superficie. Alors que la crise des sous-marins en Australie a pleinement démontré la perte d’influence de la France dans le Pacifique – ainsi que sa naïveté diplomatique –, une éventuelle séparation avec la Nouvelle-Calédonie, qui rejoindrait alors la sphère d'influence chinoise serait plus qu’un simple coup dur porté à Emmanuel Macron et aux intérêts de Paris : ce serait une catastrophe géostratégique.
Journaliste
Journaliste à la rédaction du Front Populaire
Source : https://frontpopulaire.fr/