L'annulation de la commande australienne de sous-marins dénoncée par Le Drian comme un coup de poignard dans le dos souligne la nullité de nos dirigeants. Le Drian était ministre de la défense de Hollande quand la France a dénoncé le contrat avec la Russie pour deux navires de guerre. Ce vieux politicien socialiste découvre que les Anglo-saxons selon leur habitude décident de leurs intérêts et se soucient comme d'une guigne des nôtres. Notre allégeance, notre suivisme stupides ne servent à rien !
Le pays des “droits de l’Homme” est aussi un des principaux exportateurs d’armements. Que la France participe au double langage pratiqué par presque tous les pays du monde, notamment les plus importants, en clamant sa foi dans les valeurs humanitaires tout en pratiquant une politique réaliste sur la scène internationale, n’a rien de scandaleux tant c’est le lot commun. Toutefois, il faudrait que chacun des deux côtés du jeu soit cohérent, or l’attachement aux valeurs est contredit systématiquement par nos alliances les plus ostentatoires comme notre réalisme est démenti par des opérations risquées, des échecs retentissants ou des renoncements politiques qui tournent au gâchis financier.
La France occupe suivant les années de la 4e à la 6e place dans le marché mondial des exportations d’armes. Après avoir réduit ses exportations de 6,5 millions d’Euros en 2011 à 4,82 millions en 2012, notre pays a bénéficié d’une augmentation constante : 6,87 millions en 2013, 8 millions en 2014 er 15 millions cette année qui lui assurent la quatrième place, derrière les Etats-Unis, la Russie et le Royaume-Uni. Le décollage des ventes du “couteau suisse” de l’aviation militaire produit par Dassault, le “Rafale”, au Qatar, à l’Egypte et à l’Inde joue évidemment un rôle important dans cette envolée salutaire en termes d’emplois puisque l’industrie de l’armement emploie 165 000 personnes en France. Le renoncement du Brésil au profit d’un avion suédois et la limitation de la commande indienne à 36 appareils au lieu de 126 ont refroidi l’enthousiasme. La dénonciation par la France du contrat passé avec la Russie pour la livraison de deux “Mistral”, navires polyvalents de débarquement a suscité bien des critiques. Quelle est la logique et quelle est la solidité de la politique menée dans un domaine où se croisent des intérêts économiques et des choix politiques ?
La France a choisi d’annuler un contrat d’armement avec la Russie. Dans l’immédiat, cela aura un coût, correspondant au minimum au remboursement des 2/3 d’ 1,2 milliard d’Euros avancés par la Russie. S’y ajouteront les pénalités prévues par le contrat, le démontage et la restitution des équipements russes, le gardiennage et l’entretien des navires. D’autres clients éventuels de la France pourront s’inquiéter du manque de fiabilité de notre pays. La limitation à 36 Rafale de la commande indienne peut être en partie due à cette crainte. L’Inde est politiquement proche de la Russie et principalement équipée d’avions russes.
Plus généralement, on doit mesurer les risques économiques et politiques des choix français. Sur le plan économique, la Russie est un payeur sûr. L’Egypte que nous privilégions, comme en témoigne la présence du Président Hollande aujourd’hui même pour l’inauguration du doublement du canal de Suez, l’est beaucoup moins. Les deux Chefs d’Etat salueront les trois premiers “Rafale” livrés à l’Egypte qui les survoleront. 50% de la facture des 24 Rafale seront assurés par l’Arabie saoudite qui tient le pays à bout de bras. L’autre moitié correspondra à un prêt garanti par la France. Certes, l’Egypte d’Al-Sissi fait la guerre aux djihadistes, et présente globalement une ligne politique qui mérite d’être soutenue, mais elle reste un pays économiquement faible dans lequel l’appoint essentiel du tourisme est en recul, et politiquement fragile dans lequel les islamistes n’ont peut-être pas dit leur dernier mot. Surtout, l’importance primordiale du Golfe pour notre commerce d’armement est triplement inquiétant. Le Moyen-Orient représente 40% de nos ventes, l’Arabie saoudite, à elle seule 28%. Certes, pour l’instant l’or noir et le gaz font de cette région un partenaire généreux, mais les risques politiques sont considérables. Peu de gens avaient prévu le renversement du Shah d’Iran… En second lieu, les armes ne sont pas uniquement d’un usage décoratif lors des défilés militaires. Où et contre qui seront-elles utilisées ? Doit-on exclure leur détournement volontaire ou involontaire au profit des extrémistes, comme cela s’est produit à Mossoul, lors de la débandade d’une armée irakienne équipée de neuf par les Américains ? Enfin, il est difficile de se draper dans la déclaration des droits de l’homme tout en armant des pays qui ne s’en soucient guère. La France a signé et ratifié le Traité sur le Commerce des Armes qui entend, à la demande des ONG, interdire la vente à des dictatures et à des tyrans qui en feraient un usage éventuellement génocidaire ou en tout cas répressif. L’intervention musclée de l’Arabie saoudite à Bahrein, émirat sunnite dont la population est majoritairement chiite, pour écraser la révolte et maintenir la minorité au pouvoir, n’appartient-elle pas à ce type d’action que la France devrait condamner ? De même l’Arabie saoudite aide les sunnites du Yémen contre la rébellion chiite houthie. Sans doute le fait-elle en partie avec des armes françaises, qu’elle emploie manifestement avec moins de conviction contre l’Etat islamique, en Syrie et en Irak.
Le choix de la France n’est donc pas économiquement le plus sûr. De plus, il n’a aucun fondement moral. La Russie ne menace nullement l’Europe, et beaucoup moins la paix du monde que ne le font les rivalités entre l’Inde, le Pakistan et la Chine, ou la poussée salafiste à laquelle le Golfe n’est pas étranger. La Russie a vu s’effondrer en 1991 un Empire multiséculaire. Elle tente de laver son humiliation et de reconstituer une zone d’influence historique et culturelle. Cette entreprise qui n’est pas dénuée de légitimité a subi la double offensive des Etats-Unis et de ceux qui en Europe relaient la politique américaine. Une France soucieuse de son indépendance aurait dû sauvegarder son amitié avec la Russie et se garder de figurer comme l’auxiliaire le plus dévoué de la cause sunnite, prenant parfois la place des Américains dans ce rôle. Première à vouloir détruire le régime de Damas, dernière à admettre l’accord nucléaire avec l’allié iranien de celui-ci, annulant une livraison d’armements à la Russie, alliée des deux autres, quand elle arme le Qatar et l’Arabie saoudite, la France a bien une politique. On voudrait seulement que ce soit la sienne et non un complément dirigé de la politique de Washington.
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