Lucien Cerise : En Ukraine, les ennuis ont commencé en 2013, avec le lancement de la deuxième révolution colorée dans ce pays, nommée dans les médias « EuroMaïdan », formé à partir du surnom « Maïdan » de la place centrale de Kiev. Le but de cette insurrection était de faire tomber le président de la république en exercice, accusé d’être pro-russe, puis de purger l’État, l’administration et les médias de tout ce qui restait de fonctionnaires, d’intellectuels ou de journalistes favorables à la Russie.
Ceci dans la perspective de faire adhérer l’Ukraine à l’Union européenne, ce que Moscou peut supporter, et à l’OTAN, ce qui représente en revanche un danger mortel pour l’intégrité de la Russie. Sur le site de l’OTAN, la chronologie de toutes les étapes de l’intégration de l’Ukraine dans l’OTAN est récapitulée. Un extrait :
« En septembre 2020, le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, a approuvé la nouvelle stratégie de sécurité nationale de l’Ukraine, qui prévoit le développement du Partenariat spécifique OTAN-Ukraine en vue d’une adhésion du pays à l’Organisation. »
À noter, le site de l’OTAN est en quatre langues : l’anglais et le français – les deux langues diplomatiques – le russe, pour s’adresser à l’ennemi et, on se demande bien pourquoi, l’ukrainien ! Deux régions ukrainiennes ont désapprouvé en 2014 la révolution EuroMaïdan et l’avenir euro-atlantiste qu’elle promettait au pays : la Crimée, qui a rejoint la Russie, et le Donbass, que la Russie n’a pas accepté d’intégrer, ce qui a lancé une guerre civile entre l’État central de Kiev et cette région rebelle, devenue une sorte de nouvelle Vendée slave.
L’intervention militaire russe de 2022 a donc pour finalité, non pas de lancer une guerre, mais de mettre fin avec huit ans de retard à la guerre lancée par le régime de Kiev contre le Donbass en 2014. Le retour à la paix et à la vie normale en Ukraine sont cependant inacceptables pour Kiev et ses soutiens internationaux, car cela signifierait revenir à des relations pacifiques avec la Russie. Pour ma part, je savais dès 2014 que cette région du monde allait devenir l’épicentre d’une possible troisième guerre mondiale. Le complexe militaro-industriel anglo-américain a absolument besoin d’entretenir un ennemi pour justifier son existence, ce que reconnaissait George F. Kennan, l’un des théoriciens de l’encerclement offensif de la Russie, dans sa préface à un ouvrage justement intitulé La pathologie du pouvoir :
« Si l’Union soviétique devait sombrer demain sous les eaux de l’océan, l’establishment militaro-industriel américain aurait à continuer, pratiquement inchangé, jusqu’à ce qu’un autre adversaire puisse être inventé. Toute autre situation serait un choc inacceptable pour l’économie américaine. »
Avant de mourir, Kennan est revenu pour la critiquer sur cette déclaration de 1987, mais il a fait des disciples à Washington D.C. Personne n’acceptera de reculer. La Russie est en danger mortel à cause de l’Ukraine atlantiste, ce qui explique l’intervention militaire actuelle, pour « démilitariser et dénazifier » l’Ukraine. En face, les minorités actives qui ont obtenu les pleins pouvoirs en Ukraine depuis 2014 voient leur travail de plusieurs décennies réduit à néant en quelques jours. On pense à George Soros, qui œuvre à subvertir l’Ukraine avec sa fondation Open Society depuis les années 1980, pour attaquer par ricochet la Russie voisine. On pense à Victoria Nuland, émissaire de la fraction antirusse du lobby sioniste installé au cœur de l’État profond des États-Unis – les disciples de Leo Strauss ou straussiens – et très impliquée dans l’EuroMaïdan. Et on pense naturellement aux fameux « nazis ukrainiens », dont l’idéologie antirusse fut soutenue par l’Allemagne de Hitler jusqu’en 1945, puis par les services secrets anglo-américains (CIA, MI6) en période de guerre froide pour mener le Grand Jeu géopolitique d’encerclement et de conquête de la Russie lancé au XIXè siècle par l’empire britannique afin d’en finir avec la concurrence de l’empire tsariste.
Intégrés dans les réseaux paramilitaires et terroristes de l’OTAN, mieux connus sous le nom de « réseaux Gladio », ces suprémacistes blancs ukrainiens sont coordonnés depuis des années avec le Gladio B, c’est-à-dire la branche islamiste de l’OTAN, active en Syrie pour faire tomber Bachar El-Assad – la Syrie et l’Ukraine sont la même guerre – et avec des éléments d’extrême gauche, présents notamment au Rojava, bien que cette tendance politique soit plutôt réservée à l’infiltration atlantiste, pro-immigration et LGBT, des domaines intellectuels, politiques et médiatiques. Avec l’intervention militaire russe, le Gladio néo-nazi ukrainien et le Gladio B djihadiste risquent de se répandre en Europe en se mêlant aux « réfugiés de guerre », avec le soutien financier des réseaux mondialistes de l’ONU ou de George Soros, afin d’organiser dans les capitales occidentales des attentats sous faux drapeau qui seront attribués à la Russie.
Néo-nazis soutenus par des juifs, libération d’un peuple qu’on fait passer pour une extermination, militaires ukrainiens LGBT, suprémacistes blancs alliés aux islamistes… Nous sommes en pleine dissonance cognitive. Comment en sommes-nous arrivés là et par quels moyens ?
Comme je le disais sur Sputnik en 2017, l’Ukraine est au maximum de toutes les contradictions possibles. En ce sens, ce pays est le laboratoire du mondialisme. Pourquoi ? Si l’on fait une histoire schématique de la guerre, les formes de guerre de première ou deuxième génération opposaient de grandes masses d’individus s’affrontant de manière assez cohérente. Il y avait deux camps, les amis et les ennemis, et tout le monde savait qui était l’ami et l’ennemi. La stratégie dominait la tactique. Puis la notion d’allié est apparue. Puis les renversements d’alliance, parfois du jour au lendemain. Avec le temps, l’opportunisme tactique occupe de plus en plus de place, et la cohérence stratégique tend à s’effriter et disparaître. Nous sommes aujourd’hui à l’époque de l’ambivalence intégrale, où tout le monde peut être ami, ennemi et/ou allié au même moment. Ensuite, c’est une question de dosage et de pourcentage : si untel est mon ami ou mon allié à 100 % ou 99 %, je peux évidemment travailler avec lui sans réserve, mais je ne dois pas oublier les amis et alliés à 51 % seulement. Par exemple : le calcul d’intérêt des oligarques juifs et des nazis en Ukraine est qu’ils partagent au moins 50 % d’objectifs communs, à savoir envahir la Russie. Les nazis ukrainiens estiment avoir plus d’intérêts communs avec George Soros et Igor Kolomoïsky qu’avec Vladimir Poutine. Ce genre d’alliance apparemment contre-nature a eu un précédent au XXè siècle avec les liens discrets mais documentés du capitalisme anglo-américain, y compris de ses membres juifs, avec l’Allemagne nazie ou avec l’URSS, et les changements d’alliance à géométrie variable en fonction du moment entre ces trois forces qui ont été tour à tour alliées et ennemies.
Avec la militarisation de l’opinion publique civile par la propagande de guerre, nous vivons au milieu d’ennemis mortels, retournés sans le savoir contre nous parce qu’ils croient ce que disent les médias, et qui peuvent être en même temps les meilleurs amis du monde. Sans oublier les effets involontaires et inconscients de ce que l’on fait, qui viennent ajouter encore une couche de complexité, voir les phénomènes d’hétérotélie et d’énantiodromie. Les nazis ukrainiens et leurs sympathisants, en France ou ailleurs, croient sincèrement défendre la race blanche alors qu’ils sont en train de participer activement à son génocide. La société liquide (Zygmunt Bauman) affecte aussi la manière de faire la guerre, d’où l’apparition du concept de « guerre hybride » pour qualifier cette guerre informe, fluide et sournoise, telle que l’OTAN la mène à notre époque, en Ukraine et un peu partout au moyen du « soft power ».
Cette guerre de troisième ou quatrième génération brouille la distinction entre les civils et les soldats, et se fait en militarisant la population avec des agents dormants activés en cas de besoin et des assemblages hétéroclites de minorités actives radicalisées. Les réseaux Gladio qui recrutent chez les islamistes et les suprémacistes blancs pour les faire travailler ensemble peuvent être complétés par des activistes issus de la société civile comme les mouvements LGBT et féministes. Le seul moyen de créer de l’unité et un semblant de cohérence dans tout ce bordel consiste à entretenir une figure de l’ennemi commun, de manière toujours un peu caricaturale et manichéenne. Poutine est la cible des cinq minutes de la haine, comme dans 1984. En termes d’ingénierie sociale, dans le triangle de Karpman, la Russie occupe la place du bourreau, l’Ukraine de la victime, et l’Occident atlantiste est le sauveur.
Il était inévitable qu’on en arrive là un jour. Pourquoi ? Parce que le moteur de l’histoire est la technoscience, qui permet de réduire les distances entre les êtres, aboutissant au mélange de toutes les identités et formes identitaires, ce que la philosophie appelle la postmodernité. C’est la fin du platonisme, avec ses essences pures et sans mélange, et de la logique aristotélicienne non-contradictoire. Les substances qui naguère s’ignoraient ou s’opposaient, se rencontrent et s’assemblent, s’hybrident, se métissent, provoquant un grand désordre généralisé. Cette entropie sociale est universelle, mais elle a été ralentie pendant la guerre froide dans les pays du bloc communiste, car ce type de régime, austère et fermé, a joué un rôle de « Katechon », c’est-à-dire de bouclier néguentropique contre le capitalisme, qui est le vrai facteur d’entropie et d’effondrement, avec sa société ouverte de consommation et du spectacle. Dans l’Occident postmoderne et dans ses colonies comme l’Ukraine, l’incohérence, l’hystérie, le mélangisme et l’union de la carpe et du lapin contaminent aussi le domaine de la guerre. Ce n’est pas si surprenant car l’art militaire obéit à un principe d’ordre stratégique mais aussi à un principe d’opportunisme tactique et d’adaptabilité au chaos du terrain, qui commande une certaine agilité cognitive, notamment de pouvoir abandonner ses principes en fonction de l’évolution du contexte et d’être capable de changer son fusil d’épaule instantanément. Dans l’art de la guerre, les impératifs matériels et matérialistes l’emportent toujours sur les grands principes que l’on croit intangibles.
L’Apocalypse parle de la « bataille dans le ciel », mais la bataille est sur Terre. Le champ de bataille est terrestre et entièrement pragmatique, relatif à une praxis. Pour comprendre le phénomène de la guerre, il faut renoncer aux grilles de lecture intellectuelles, métaphysiques, essentialistes et idéalistes, au sens philosophique, c’est-à-dire qui croient à l’autonomie des idées pures par rapport à la matière, et à la supériorité des principes absolus sur l’efficacité pratique relative. Toutes ces grilles d’analyse intellectuelles imposent au réel une cohérence qui n’existe pas dans le réel. Pour comprendre le monde, et en particulier les rapports de force intramondains, il faut comprendre le monde matériel physique dans ses propres termes, qui sont contradictoires, car le monde est traversé de forces antagonistes en équilibre toujours instable. Conséquence : les systèmes d’alliance en période de guerre ont toujours un côté hybride et composite, car c’est l’opportunisme qui les guide, et c’est normal. Le cœur du phénomène guerrier est l’exploitation de toutes les opportunités tactiques, ce qui peut contredire la planification stratégique et sa cohérence. Quand ils deviennent le tout de la guerre, les mouvements tactiques, calculés pour un résultat à court terme, peuvent même annuler la cohérence stratégique planifiée sur le long terme, d’où ce spectacle d’incohérence tactique totale exhibé par l’Ukraine depuis 2014.
Quelles seront les conséquences à long terme de ce conflit ?
Tout dépend de qui va gagner. L’intervention russe devrait réduire à néant les espoirs atlantistes de conquête militaire de la Russie depuis l’Ukraine, sauf si l’OTAN et les Occidentaux sont mauvais perdants et nous entraînent dans un conflit mondial. Il faut se mettre à la place de ces minorités actives qui travaillent à militariser l’Ukraine depuis 2014 dans l’espoir d’attaquer ensuite la Russie directement sur ses frontières pour rejouer l’opération Barbarossa, et qui voient leurs efforts anéantis en quelques jours, ce qui risque de les rendre complètement fous. Les nazis sont en train de perdre la tête et se mettent à tirer sur tout le monde à la kalachnikov. Les oligarques juifs straussiens et l’OTAN risquent de suivre la même pente glissante, mais avec des ogives nucléaires.
On peut reformuler votre question dans les termes de la théorie des jeux : comment prédire le comportement de systèmes engagés dans des rapports de force ? Dans les conflits modernes, il y a trois types de forces en présence : les forces conventionnelles, les forces non-conventionnelles, les civils militarisés. Je pense que l’OTAN va essayer d’enliser la Russie dans une guerre de partisans, une guérilla interminable, donc une guerre non-conventionnelle avec implication des civils, en utilisant la Pologne pour faire transiter des armes et des combattants volontaires, venant du mouvement Strzelec.
Le soutien de la Pologne à l’Ukraine représente une catastrophe socio-économique pour la Pologne, le pays qui accueille le plus grand nombre de réfugiés, et qui n’a absolument pas les moyens de s’en occuper. Les médias polonais exploitent la colère qui monte dans la population pour l’orienter contre la Russie en l’accusant d’être à l’origine de cet exode massif d’Ukrainiens. Cette inversion des faits, véritable opération psychologique de reconstruction de la réalité, permet à l’OTAN de prendre le contrôle mental des Polonais, en particulier les conservateurs catholiques, pour les militariser contre leurs intérêts bien compris, c’est-à-dire contre Moscou et en faveur de Bruxelles, siège de l’Union européenne et de l’OTAN.
Au-delà de la Pologne, l’OTAN va essayer de reprendre le contrôle des « cuckservatives », ou « conservateurs cocufiés » européens, contrôle assuré en période de guerre froide à cause de l’épouvantail communiste mais qui lui avait échappé après la dissolution de l’URSS. En essayant d’exploiter une image anxiogène de Poutine et de la « menace russe », il s’agit de dresser toute l’Europe contre la Russie, si besoin en étendant le conflit de manière clandestine aux réseaux néo-Gladio composés des suprémacistes blancs ukrainiens et de leurs sympathisants gauchistes et djihadistes pour monter des opérations terroristes « false flag » qui permettront d’accuser la Russie. En 2020, les États-Unis ont placé une association russe nommée le Mouvement Impérial Russe sur la liste des organisations terroristes de suprémacistes blancs, ce qui permettra d’élaborer une narration médiatique visant à semer la confusion maximum dans les esprits pour camoufler les vrais responsables.
Afin de rétablir un minimum de clarté, il faut définir où passe maintenant le clivage fondateur en géopolitique. Comme le défend Alexandre Douguine, le clivage antirusse/prorusse recoupe largement le clivage atlantisme/eurasisme. Ce clivage fondateur est indifférent aux systèmes d’idées et aux identités. Il y a une extrême droite antirusse/atlantiste et une extrême-droite prorusse/eurasiste. Idem pour l’extrême gauche et pour les systèmes politico-religieux comme l’islam car il y a des musulmans prorusses et d’autres antirusses, ou pour le sionisme, car il y a des sionistes antirusses mais aussi des sionistes prorusses.
En résumé, le trait psychologique qui distingue les deux côtés du clivage est le suivant : les prorusses eurasistes réfléchissent avant d’agir, ils sont dans la realpolitik, quand les antirusses atlantistes agissent d’abord, et réfléchissent ensuite, ce qui les conduit vers des postures idéologiques. Les oligarques et les groupes de combat néo-Gladio antirusses/atlantistes vont appliquer la « doctrine Kitson » pour mettre l’Europe à feu et à sang, et accuser la Russie. À long terme, cela ne change rien pour l’Occident mondialiste, l’empire du mensonge et du chaos, qui va continuer à s’enfoncer pour finalement disparaître totalement. De son côté, la Russie va reconstruire un « rideau de fer » pour se protéger, et nouer des alliances avec d’autres parties du monde.
Source de l’article : E&R